Il est le premier français choisi pour prendre, seul, la réalisation d’un long métrage d’animation américain : en avril 2022, Pierre Perifel signera chez DreamWorks l’adaptation au cinéma de la série de livres jeunesse The Bad Guys écrite par Aaron Blabey. Une consécration pour cet animateur de 41 ans, qui a fait l’essentiel de sa carrière au sein de DreamWorks Animation, à Los Angeles, et gravi tous échelons : animateur de personnages, superviseur d’animation, directeur d’animation, storyboarder et réalisateur. Son nom ne vous dit peut-être rien ? Normal : les premiers films dont il a pris la direction artistique ou qu’il a co-réalisés ont subi la malédiction des projets retirés in extremis du catalogue, au gré des changements de producteurs ou d’actionnaires. Mais cette fois-ci, il tient son film.

 

Pour comprendre la détermination de Pierre Perifel, il faut revenir plusieurs années en arrière, alors qu’il est élève dans un lycée à Bron. Inscrit en filière générale où il obtenait de bons résultats, il avait convaincu ses parents de le réorienter sur un bac technologique en design et arts appliqués. En terminale, il découvre un documentaire sur les artistes français travaillant dans le cinéma d’animation en Californie et c’est la révélation : « Je réalise alors que c’est un vrai métier, aux antipodes des représentations sur cette industrie qu’on avait France. C’est ce métier que j’ai voulu faire ». 

 

Il cherche quelles études pourront l’y préparer et choisit l’École Émile Cohl, « pour apprendre à dessiner correctement ». Au début, ce fut le choc : « Les profs étaient tous au top, mes notes tombaient à 8 (contre 17, au lycée), et il y avait parmi les étudiants une émulation que je n’avais jamais connue. On touchait à tout - anatomie, modelage, perspective, peinture, illustration - et les enseignements étaient tous interconnectés ». 

 

Il finira pourtant son parcours à Paris, aux Gobelins, où les techniques d’animation lui semblent plus proches de l’animation américaine qui l’intéresse, mais il jure avec le recul que c’est à l’école fondée par Philippe Rivière qu’il a le plus appris. « Je la recommanderai toujours », affirme-t-il. Il a gardé des amitiés avec d’autres Cohliens aujourd’hui reconnus : Jaouen Salaün (illustrateur et auteur BD), Cédric Babouche (auteur BD, directeur artistique, réalisateur), Annette Marnat (illustratrice de livres et de films d’animation), Michaël Sanlaville (auteur BD)…

 

En 2004, il est à peine diplômé quand les studios DreamWorks lui proposent de l’engager. Mais Pierre vient de fonder une famille et repousse l’offre. Cette fois-ci seulement. Car deux ans plus tard, l’occasion se présente à nouveau au moment de passer ses vacances chez un ami animateur, à Los Angeles, qui lui fait visiter les studios. A nouveau, DreamWorks lui propose un contrat, qu’il accepte. Le clan Perifel quitte Paris où Pierre avait fait ses armes en 2D pour plusieurs studios, sur plusieurs films : Curious George, Nocturna, Lucky Luke, L’Illusionniste, Lascars… 

 

L’aventure californienne commence en février 2008. Il anime des personnages superproductions, de A à Z : Kung Fu Panda 2 (2011) et Les Cinq Légendes (2012), tous les deux nommés aux Annie Awards. Puis le voici superviseur d’animation aux côtés des stars de DreamWorks, dont le français Kristof Serrand. Malheureusement, les films suivants seront stoppés : Me and My Shadow, Monkeys of Mumbaï, Larrikins, Spooky Jack. Pour le consoler, deux collègues - Liron Topaz et JP Sans - l’entraînent à reprendre avec eux ses inventions pour Larrikins dans un court-métrage mettant en scène un marsupial protecteur et un poussin albatros au milieu des dangers du désert australien. Leur film, Bibly, est présenté en clôture du Festival d’Annecy 2018 et pré-selectionné aux Oscars 2019.

 

Dans ces projets, Pierre Perifel avait apporté des améliorations sur la conception des personnages qui ont été, depuis, intégrés dans le processus de fabrication des films : « Je fais collaborer d’emblée tous les métiers de l’animation de personnages - character designers, chefs modeleurs, textureurs et riggers (le squelette des personnage) - plutôt que de suivre une chaîne de production linéaire. Ma culture du dessin et de l’illustration traditionnelle m’incite à trouver une vue globale sur les personnages, avec un regard différent de celui d’animateurs seulement formés à la 3D », explique-t-il.

 

Son prochain film est un polar peuplé d’animaux anthropomorphes (un loup, un requin, une tarentule, un serpent et un piranha) qui s’affrontent dans une histoire de bons et de méchants où les rôles s’échangent. Pierre Perifel dit avoir eu un déclic pour ce projet : « J’ai vu dans l’adaptation des livres d’Aaron Blabey le moyen de jouer avec les codes des films de braquage de Tarantino, que j’adore. The Bad Guys, ce sera un peu Reservoir Dogs et Kill Bill pour enfants. »

 

La pandémie de Covid-19 aurait pu compromettre la production du film. Heureusement, Pierre Perifel avait constitué des équipes soudées… même à distance : « Je ne connais pas tous les 220 artistes par leur prénom, mais presque ! Alors que les réalisateurs viennent souvent de l’écriture de film, du storyboard ou du montage, moi j’ai fait mes tranchées dans les équipes d’animation, aux côtés de ceux qui fabriquent les films. Je savais donc qui mettre avec qui pour que ça marche ». 

 

The Bad Guys est annoncé pour le 15 avril 2022. Au début de l’été, plus de la moitié du film était déjà fabriquée.